En 1840, Adolphe Thiers, président du conseil des ministres, et le roi Louis-Philippe, projettent de rapatrier la dépouille mortelle de Napoléon Ier et de l’inhumer aux Invalides. Ce sera chose faite en décembre de cette même année.
Après l’exhumation du corps, à Sainte-Hélène, en octobre et son retour en France, c’est le 15 décembre 1840, qu’a lieu la cérémonie funèbre et l’inhumation aux Invalides.
Par un temps glacial (-8°C) mais ensoleillé, la foule parisienne se presse pour voir passer le sarcophage, monté à bord d’un char monumental de dix mètres de haut sur cinq de large, orné de quatorze statues représentant les victoires les plus éclatantes de l’Empire.
Le rapatriement des cendres en France
Le projet est annoncé le 12 mai 1840 par le ministre de l’intérieur, Charles de Rémusat, lors d’un discours à la tribune de l’Assemblée Nationale :
Messieurs, le roi a ordonné à S.A.R. Monseigneur le prince de Joinville de se rendre avec sa frégate à l’île de Sainte-Hélène pour y recueillir les restes mortels de l’Empereur Napoléon.
Un crédit d’un million de Franc fut voté et mis à disposition pour le rapatriement.
Le 7 juillet, la frégate
La belle-Poule et la corvette
La Favorite lèvent l’ancre de Toulon à destination l’île de Sainte-Hélène. L’expédition est commandée par le prince de Joinville, commandant de
La belle-Poule. Des proches de l’empereur sont associés au voyage : les généraux Bertrand et Gourgaud, le comte Emmanuel de Las Cases, fils de l’auteur du Mémorial de Sainte-Hélène, Louis Marchand, premier valet de chambre de l’Empereur, et cinq domestiques qui avaient servi Napoléon à Sainte-Hélène : Saint-Denis (Mamelouk Ali), Noverraz, Pierron, Archambault et Coursot.
Le 8 octobre, après 93 jours de voyage, la mission parvient à l’île de Sainte-Hélène.
Le cercueil de l’empereur est exhumé dans la nuit du 14 au 15 octobre 1840, par des soldats britanniques et remis aux autorités françaises. Au soir du 15 octobre, après une cérémonie solennelle, le cercueil est embarqué sur
La belle-Poule.
Le navire appareille pour la France le 18 octobre, pour arriver le 30 novembre 1840 à Cherbourg. Le cercueil est ensuite transféré au Havre, puis à Rouen, d’où il remonte la Seine jusqu’à Paris, où il arrive le 14 décembre.
La cérémonie
La cérémonie a lieu le 15 décembre. Le cortège funèbre traverse Paris, partant du Pont de Neuilly, jusqu’aux Invalides, en passant les Champs Elysées, l’Arc de Triomphe.
Dans Choses vues, Victor Hugo, qui a assisté à cette cérémonie, nous en laisse ce témoignage :
Tout à coup le canon éclate à la fois à trois points différents de l’horizon. Ce triple bruit simultané enferme l’oreille dans une sorte de triangle formidable et superbe. Des tambours éloignés battent aux champs.
Le char de l’Empereur apparaît.
Le soleil, voilé jusqu’à ce moment, reparaît en même temps. L’effet est prodigieux.
On voit au loin, dans la valeur et dans le soleil, sur le fond gris et roux des arbres des Champs-Elysées, à travers de grandes statues blanches qui ressemblent à des fantômes, se mouvoir lentement une espèce de montagne d’or. On n’en distingue encore rien qu’une sorte de scintillement lumineux qui fait étinceler sur toute la surface du char tantôt des étoiles, tantôt des éclairs. Une immense rumeur enveloppe cette apparition.
On dirait que ce char traîne après lui l’acclamation de toute la ville comme une torche traîne sa fumée.
Au moment de tourner dans l’avenue de l’Esplanade, il reste quelques instants arrêté par quelque hasard du chemin devant une statue qui fait l’angle de l’avenue et du quai. J’ai vérifié depuis que cette statue était celle du maréchal Ney.
Au moment où le char-catafalque a paru, il était une heure et demie.
Le cortège se remet en marche.
Le char avance lentement. On commence à en distinguer la forme.
Voici les chevaux de selle des maréchaux et des généraux qui tiennent le cordon du poêle impérial.
Voici les quatre-vingt-six sous-officiers légionnaires portant les bannières des quatre-vingt-six départements. Rien de plus beau que ce carré, au-dessus duquel frissonne une forêt de drapeaux. On croirait voir marcher un champ de dahlias gigantesques.
Voici un cheval blanc couvert de la tête aux pieds d’un crêpe violet, accompagné d’un chambellan bleu ciel brodé d’argent et conduit par deux valets de pied vêtus de vert et galonnés d’or. C’est la livrée de l’Empereur. Frémissement dans la foule: « C’est le cheval de bataille de Napoléon! » La plupart le croyaient fortement. Pour peu que le cheval eût servi deux ans à l’Empereur, il aurait trente ans, ce qui est un bel âge pour un cheval.
Le fait est que ce palefroi est un bon vieux cheval-comparse qui remplit depuis une dizaine d’années l’emploi de cheval de bataille dans tous les enterrements militaires auxquels préside l’administration des pompes funèbres.
Ce coursier de paille porte sur son dos la vraie selle de Bonaparte à Marengo. Une selle de velours cramoisi à double galon d’or – assez usée.
Après le cheval viennent en lignes sévères et pressées les cinq cents marins de la Belle-Poule, jeunes visages pour la plupart, en tenue de combat, en veste ronde, le chapeau rond verni sur la tête, les pistolets à la ceinture, la hache d’abordage à la main et le sabre au côté, un sabre court à large poignée de fer poli.
Les salves continuent.
En ce moment on raconte dans la foule que ce matin le premier coup de canon tiré aux Invalides a coupé les deux cuisses d’un garde municipal. On avait oublié de déboucher la pièce. On ajoute qu’un homme a glissé, place Louis-XV, sous les roues du char et a été écrasé.
Le char est maintenant très près. Il est précédé presque immédiatement de l’état-major de la Belle-Poule, commandé par M. le prince de Joinville à cheval. M. le prince de Joinville a le visage couvert de barbe, ce qui me paraît contraire aux règlements de la marine militaire. II porte pour la première fois le grand cordon de la Légion d’honneur. Jusqu’ici il ne figurait sur le livre de la Légion que comme simple chevalier.
Arrivé précisément en face de moi, je ne sais quel obstacle momentané se présente. Le char s’arrête. Il fait une station de quelques minutes entre la statue de Jeanne d’Arc et la statue de Charles V.
Je puis le regarder à mon aise. L’ensemble a de la grandeur. C’est une énorme masse, dorée entièrement, dont les étages vont pyramidant au-dessus des quatre grosses roues dorées qui la portent. Sous le crêpe violet semé d’abeilles, qui le recouvre du haut en bas, on distingue d’assez beaux détails: les aigles effarés du soubassement, les quatorze Victoires du couronnement portant sur une table d’or un simulacre de cercueil. Le vrai cercueil est invisible. On l’a déposé dans la cave du soubassement, ce qui diminue l’émotion.
C’est là le grave défaut de ce char. Il cache ce qu’on voudrait voir, ce que la France a réclamé, ce que le peuple attend, ce que tous les yeux cherchent, le cercueil de Napoléon.
Sur le faux sarcophage on a déposé les insignes de l’Empereur, la couronne, l’épée, le sceptre et le manteau. Dans la gorge dorée qui sépare les Victoires du faîte des aigles du soubassement, on voit distinctement, malgré la dorure déjà à demi écaillée, les lignes de suture des planches de sapin. Autre défaut. Cet or n’est qu’en apparence. Sapin et carton-pierre, voilà la réalité. J’aurais voulu pour le char de l’Empereur une magnificence qui fût sincère.
Le cercueil est accueilli dans l’église Saint-Louis des Invalides par un requiem de Mozart. Le roi et toute sa famille sont là ainsi que les plus hautes autorités civiles, militaires et ecclésiastiques.
Du 16 au 24 décembre, l’église des Invalides, éclairée comme le jour de la cérémonie, resta ouverte au public.